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« Change management », ou quand l’entreprise Miss France fait sa révolution

Photo du rédacteur: Ludovic HermanLudovic Herman

Il était une fois l’entreprise Miss France, une institution à but lucratif qui avait pour vocation d’organiser la sélection de la plus belle miss de l’année. C’est un soir de décembre, à l’approche de la nuit de la Nativité que se déroule ce concours de beauté sans pitié. Une élection au suffrage semi-universel : entre les pages de publicité, le jury, d’un côté, et le public, de l’autre, votent pour élire la plus belle des miss régionales. De l’anonymat le plus total, l’élue sera propulsée dans la célébrité, avec un peu de prospérité, et surtout la postérité dans le monde entier. Même si dehors il gèle à pierre fendre, ces belles, pas bêtes pour un sou, se promènent à l’écran en robe légère (et même en bikini). Cela permet au spectateur, un soupçon voyeur, de choisir celle qui fait vibrer son cœur.


Comme en stratégie, « the winner takes it all », mais étrangement, la première dauphine, la Poulidor des miss, n’est jamais fâchée d’avoir échoué. Elle embrasse la gagnante, qui éclate en sanglots sans que son mascara ne dégouline, et se retire dans l’anonymat. Or, voilà qu’au nom d’une nouvelle définition de la beauté, cette année révolutionne les critères de sélection.


Alexia Laroche-Joubert, triple gagnante de Koh Lanta, Fort Boyard et la Star Academy, déclenche la révolution.


Alexia Laroche-Joubert, devenue présidente de Miss France, femme de la génération X qui n’aime pas que les miss se dénudent dans ce type de production, annonce cette révolution. Le changement, elle le connaît, car sa vie n’a pas été un long fleuve tranquille. À 34 ans, maman d'un bébé d’un an, elle perd son mari, tué dans un accident. Geneviève de Fontenay, l’ex-CEO, qui a vendu la société Miss France au plus offrant, refuse publiquement tout changement. Alexia ne se laisse pas faire car c’est une femme d’affaires dont la réputation n’est plus à faire. Elle n’est ni une dirigeante lambda, ni bêta, mais plutôt alpha. La téléréalité en France, c’est elle qui en a fait une réalité. Elle sait attirer sur les écrans les femmes de moins de 50 ans responsables des achats (FRDA-50). La vraie gagnante de Fort Boyard, de Star Academy et de Koh Lanta réunis, c’est aussi elle.


Pour résumer, elle élargit considérablement la base de recrutement des candidates. Avec les nouveaux critères, il est désormais possible de se présenter au concours si on a plus de 24 ans, que l'on est mariée, mère de famille, tatouée et même née garçon, mais devenue fille à l’état civil ! Toutefois, ce n’est pas l’anarchie. Restent toujours interdites la chirurgie plastique, les photos X et une taille inférieure à 1m70 sans talons. Hors de question qu’une femme « petite » par la taille, même la plus belle du monde – comme la mienne – puisse se porter candidate. Qu’on se le dise, en matière de beauté, la ségrégation par la taille n’est pas abolie.


Geneviève de Fontenay, qui n’est pas qu’une femme d’affaires qui vendit son affaire, était aussi très en avance sur son temps.


Pour décoder la résistance dont elle a fait preuve, il faut remonter au temps où Geneviève de Fontenay présidait l’entreprise qu’elle avait développée comme une start-up au fil des années. Un jour, elle la vendit à Endemol, la JV de Disney et d’Apollo, un fonds d’investissement fan de rendement, tout en y restant émotionnellement attachée. Or, dixit Wikipedia, Geneviève, ex-mannequin de Balenciaga, icône vêtue de noir et blanc à la silhouette élancée et toujours coiffée d’un chapeau indémodable, n'est pas qu’une femme d’affaires qui sut vendre son affaire. C’est aussi l’aînée d’une fratrie de dix enfants qui sut exercer des responsabilités et monta à Paris pour travailler dans la beauté. Elle tomba amoureuse et devint maman l’année de ses 22 ans. Femme libre, en avance sur son temps, c’est avec Louis, un homme déjà remarié, de vingt-quatre ans son aîné, qu’elle conçut ce bébé d’amour. Elle innova en vivant avec lui une union libre avant même que cette tendance ne soit à la mode. Peut-être soucieuse de son indépendance, elle devint miss Élégance à 25 ans, alors qu’elle était maman du petit Ludovic âgé de 3 ans.


Mais la romance ne s’arrête pas là, car, contrairement à Barbie qui aime Ken, un homme fade, mais sans défauts, Geneviève aima Louis Pierrot, dit de Fontenay, un homme deux fois condamné. Mais « fuck » les convenances et la morale bourgeoise, car quand on aime jusqu’à l’impossible, on ne compte pas les qu’en-dira-t-on. Geneviève, femme engagée à gauche, vota pour Arlette Laguiller pour aider les moins aidé.es. Comme Thomas Piketty, économiste presque atterré, elle refusa de recevoir la Légion d’honneur pour ne pas dévoyer cette médaille attribuée aussi à mon arrière-grand-père, aveugle de guerre. Que cette femme émancipée des convenances, porteuse d’un leadership au féminin dans un monde masculin, s’oppose à l’évolution des critères de sélection de Miss France me surprenait, car elle aurait pu, à son tour, tenter sa propre candidature, voire devenir miss France et inonder le monde entier de ses photos, y compris de celles avec Louis et Ludovic ! Un dîner passé en sa compagnie me rappela qu’imposer le changement tient plus de l’art que de la science.


Geneviève me fit prendre conscience que le changement est le fruit d’un processus complexe.


Il y a trente ans, une amie du lycée, belle comme le jour, scintillante comme la nuit et prétendante au titre de miss France me permit de rencontrer Mme de Fontenay. Mon amie, qui avait une voix de mezzo et de meilleures notes que moi faisait naturellement se retourner les têtes sur son passage, à Paris comme à New York. « Ne crois pas que ce soit si agréable à supporter. Et tu n’as pas à subir la corvée de l’épilation », m’avoua-t-elle. Un jour, elle m’invita au dîner organisé en tout petit comité par Geneviève et son fils cadet dans un restaurant proche de la place du Châtelet, à Paris. Geneviève, presque matriarcale, son fils assis à ses côtés, puissante, comme dirait Léa Salamé, me demanda ce que j’aimerais faire plus tard. Je répondis, fier comme Artaban : « Accompagner le changement ! » « Attention, jeune homme, n’accompagnez pas n'importe quel changement », dit-elle en me regardant de ses beaux yeux, moi qui portais le prénom de son fils aîné, décédé peu de temps auparavant.


Je réalisai ce jour-là que mon métier futur ne serait pas aisé et qu’à chaque fois qu’un manager voudrait changer quoi que ce soit, on lui poserait la question du pourquoi, du comment, du quand, du avec qui, du pour qui… Et ainsi de suite. On hésiterait à chaque fois entre négocier, mobiliser ou imposer les changements.


Pour réussir à « révolutionner », toujours travailler son « case for change », ses arguments percutants, humains et business à la fois


Avec le temps, j’apprendrais aussi que chaque personne, service, acteur concerné par ledit changement, comme les comités régionaux, dans le cas de Miss France, qui poussent aux votes pour leur candidate, se demandent : « Que vais-je gagner (ou perdre) dans le changement annoncé par Alexia ? » Comme on dit en anglais, « what’s in it for me? » De plus, le changement pourrait aussi bousculer des valeurs (ce qu’on croit bon) ou des « beliefs » (ce qu’on croit vrai) … Mazette, ce serait fichtrement compliqué.


Alors, comme tout le monde ne peut pas y gagner, on travaille le sens du changement, le « case for change », ce cocktail d’arguments percutants, business et humains, capables d’embarquer et de dépasser les conflits d’intérêts. C’est ce que fit Alexia dans Gala le 23 juin 2022 : elle parla cash de tout… sauf du « cash » dont cette industrie est pourtant fan. Elle parla de progrès, de modernité, mais pas de rentabilité, ni de pérennité. Elle parla de lutte contre l’homophobie et le racisme… Mais rien sur la lutte contre les autres sociétés de production. Pourtant, Miss France n’a pas perdu de sa lucrativité et n’est pas immortelle.


Alors comment compléter le discours sur les valeurs par un discours enchanteur pour le business ?


Peut-être qu’Alexia, comme certains dirigeants, peut s’inscrire dans le temps long et dire ce qu’elle compte faire pour que Miss France, qui a plus de cent ans, soit encore là dans cent ans. Peut-être qu’elle peut nous parler du dessous des cartes de cette industrie et des risques à ne pas changer dans le monde sans pitié des sociétés de télévision. Et pourquoi pas aussi un mot d’empathie pour les belles d’1m69, recalées pour un centimètre, et sur le fait qu'elle travaille à un concours alternatif pour les Misters qui ne soit pas que celui des bodybuilders.


Quoi qu’il en soit, vivement décembre ! J’espère qu’Andréa Furet, que ma fille Saskia connaît et apprécie sincèrement depuis leur rencontre au Cours Florent, sera de la partie pour qu’on puisse voter avec des SMS payants pour son succès.


Sentimentalement vôtre



Crédit photo : © Ross Findon (Unsplash)

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