« Je crois avoir décelé une nouvelle conspiration », me dit Thierry, mon ami qui a quitté les SI pour faire de la philosophie. « Elle implique le sommet du monde spirituel et intellectuel et je crois même que le Pape François n’y est pas étranger… Les indices sont concordants, mais rassure-toi, c’est enthousiasmant. »
Cela ne me rassure pas du tout, je suis même inquiet que mon ami m’entreprenne sur une conspiration, impliquant le Pape François et pourquoi pas les Illuminati ! Le comble c’est qu’il m’annonce son pressentiment au pied du nouveau siège du Monde, ce quotidien anti-fake news, dans ce quartier d’affaires peu affairé de l’avenue Pierre Mendes France. Je reconnais néanmoins que le sujet est d’actualité.
En effet, des dirigeants issus de « milieux autorisés » qui jurent ne jamais avoir comploté pour être nommés à leur poste auraient déclaré, sous couvert d’anonymat, « le problème n’est pas les comploteurs, mais les complotistes, car une part croissante de nos salariés est convaincue que les complots sont partout, au point de le clamer sans aucune preuve ». Ils ajoutent : « le complotisme divise les équipes, accapare les conversations, casse la cohésion et transforme les retrouvailles en foire d’empoigne ».
Effectivement, croire que des complots gouvernent notre monde rencontre un écho de plus en plus retentissant qui pourrait se propager, car aucun vaccin anti-complotisme n’a été recherché, « faute de cobayes pour le tester » dit-on chez Pfizer, pourtant intéressé par ce nouveau marché.
De nombreux complotistes sont même remontés comme des coucous suisses. Ils se jugent victimes de ce qu’ils nomment « le racisme anti-complotiste du néo pouvoir colonisant des bien-pensants ». Ceux qui se croient lanceurs d’alertes ajoutent « on se sent présumé coupable, alors que nous alertons le monde courageusement. On pense constituer en minorité agissante et demander plus d’inclusion pour nos idées et de diversité pour nos opinions ». Eh bien, ajoutent-ils, « si des fanatiques de la vérité consacrée veulent nous museler c’est que nous avons sûrement raison ».
Mama Mia ! Les lassés du ping-pong, entre ceux qui boivent les propos des chaînes d’infos et ceux qui ne font confiance qu’aux posts likés, espèrent un éclaircissement objectif portant sur les racines du complotisme.
Thierry essaye de m’instruire. Les anti-complotisme expliquent ce goût pour le complotisme par le biais de confirmation et par le biais de proportionnalité. Le premier nous confirme dans nos a priori (principe à la base des algorithmes des notifications des réseaux sociaux) et le second nous fait croire que toute catastrophe est provoquée par une cause racine de même ampleur.
Les croyants dans le complotisme avancent de leur côté plusieurs hypothèses prétendues vraies sur l’espèce humaine :
· Les hommes aimeraient toujours plus de pouvoir et d’argent.
· Les « masses » sont manipulables.
· Tous les effets sont le produit de causes décidées.
« Mazette! » je lui réponds, «voilà pourquoi j’ai tant de mal à croire dans les complots ! C’est parce que je pense que les plus riches et puissants inspirent de moins en moins souvent. C’est parce que je crois que la plus grande richesse sur terre, celle de savoir aimer et d’être aimé, dépasse toujours celle d’être craint ou envié. C’est aussi parce que je ne nous pense pas si dupes, car nous pouvons facilement nous informer autrement que passivement. Et enfin, je crois dans les événements fortuits, les effets papillons et les rétroactions. Dieu que le complotisme m’est étranger, car loin de mes croyances et de mes expériences passées. Je crois même qu’on surestime les pouvoirs des « rois » de ce monde, car ils sont plus nus et moins décideurs de nos destinées qu’on ne le croit.»
Mais ferré tel un poisson, je mords tout de même à son hameçon et lui demande « et quelle est donc cette conspiration ? »
—Tiens-toi bien, c’est celle des « croisés anti-bureaucratie », avec deux François et une Amélie. C’est La Croix qui m’a mis sur le chemin dans son article sur les propos chocs du Pape en visite à Radio Vatican dont voici un extrait : « Le grand ennemi du bon fonctionnement est le fonctionnalisme, a lancé le Pape. Par exemple, je suis chef d’une section, je suis le secrétaire de cette section, le patron. Mais j’ai sept sous-secrétaires. Tout va toujours bien. Quelqu’un a une difficulté? Va voir le sous-secrétaire qui doit la résoudre. Ce dernier lui dit : « Attendez une minute, puis je reviendrai vers vous. ». Il va et appelle la secrétaire… Ils sont inutiles. Incapables de prendre des décisions, incapables d’y mettre du leur », a fustigé le pape. Avant de trancher : « Le fonctionnalisme est mortel. Il endort une institution et la tue. Attention à ne pas tomber dans ce travers. »
Une semaine plus tard, François Dupuy, pape de la sociologie alertait lui aussi sur LinkedIn que rien ne changeait assez. J’en déduis qu’une croisade pour simplifier nos organisations est en préparation.
— Pardon, Thierry, mais tu fais de deux interventions concomitantes une corrélation !?
— Oui, car c’est la 2e fois que cela se produit, or il n’y a pas de hasard comme tu le sais. Il y a 6 ans (et le 6 cela veut dire quelque chose…) le Pape alertait sur les 15 maladies des organisations bureaucratique en parlant de la Curie Romaine. Voici un extrait de son discours: « Une Curie qui ne fait pas son autocritique, ne s’ajuste pas en permanence, ne cherche pas à s’améliorer, est un corps malade (...) Autre maladie : le « marthalisme » (qui vient de Marthe) ou l’activité excessive. Elle concerne ceux qui se noient dans le travail et négligent inévitablement « la meilleure part » : s’asseoir aux pieds de Jésus (cf. Lc 10, 38-42)(...) Il y a aussi la maladie de la « pétrification » mentale et spirituelle. Ceux qui en sont atteints possèdent un cœur de pierre et une « nuque raide » (Ac 7, 51-60). Ce sont ceux qui, chemin faisant, perdent leur sérénité intérieure, la vivacité et l’audace, et se cachent derrière leurs dossiers, devenant les « rois du formulaire » et non « des hommes de Dieu » (cf. He, 3, 12).
Or déjà à l’époque, François Dupuy renchérissait déjà quelques jours après le Pape François dans son interview mémorable dans L'Usine Nouvelle. Comme il n’y a pas de fumée sans feu, surtout en matière de papauté et que jamais deux sans trois, alors je reste aux aguets sur leur prochaine attaque concertée.
— Certes la coïncidence est troublante mais pourquoi penses-tu qu’Amélie de Monchalin, notre ministre de la Transformation et de la Fonction publiques soit mêlée à ce complot des François ?
— Mais parce qu’elle avait annoncé l’été dernier son souhait d’une révolution culturelle anti bureaucratique comme tu l’avais remarqué ! D’ailleurs, Ludovic, que dirais-tu au Pape s’il t’invitait au Vatican, pour simplifier la Curie?
— Je le lui dirais que gronder ses salariés est une réaction humaine, mais peu pérenne et j’ajouterais : « Invitez aussi François Dupuy et le collectif de l’entreprise sentimentale pour comprendre pourquoi les secrétaires du Vatican font ce qu’ils font afin d’identifier quels leviers systémiques pourraient les faire changer. Invoquer leur foi est un premier pas, leur donner intérêt et pouvoir à changer peut aussi aider » Et j’ajouterais, si j’en ai le toupet : « Chiche votre Excellence, faisons de la Curie la 1ère Entreprise Sentimentale internationale, une entreprise qui fait du bien aux hommes et femmes qui lui sont liés ».
Sentimentalement vôtre
Crédit photo : © Unsplash
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