La Presse, ce média qui fait référence au Canada francophone, titre deux jours après Halloween : "Vers une invasion des morts vivants". Elle ne parle pas des zombies du "Thriller" de Michael Jackson, mais des entreprises zombies qui envahissent notre économie. Rappelons que le concept d’entreprises zombies, né en 2007 au Japon, reste actuel en 2020. Derrière ce nom fantasque se cache une définition sérieuse : celle des entreprises ayant au moins dix ans d’âge et dont le revenu opérationnel est insuffisant pour couvrir leur charge d’intérêts pendant trois années consécutives ! C’est très schumpetérien, voire darwinien ce point de vue anti-zombie qui tranche avec celui des nombreux keynésiens.
Depuis, Jean Marc Vittori y est allé de son édito dans les Echos et Patrick Artus, économiste médiatique, a renchéri dans une interview "scary" sur Xerfi. En résumé ? La manne de la déesse BCE combinée au robinet à cash des PGE (Prêts garantis par l’Etat) devrait considérablement augmenter la part des zombies dans l’économie. Au détour d’une phrase on apprend même que le prix de chaque vie de la pandémie française sauvée en 2020 serait de 6 millions d’euros ! C’est morbide et économique à souhait ! Je conseille cette vidéo à tous les amateurs des threads horreurs de Squeezie !
Mazette, cela fait froid dans le dos car ces entreprises qualifiées de parasites sont jugées responsables (mais pas coupables, diraient des politiques) d’une décennie entière de croissance perdue au Japon ! Alors renouerons-nous avec la croissance avant dix ans ? Qui vivra verra. On s’insurge en tout cas dans les salons de cette pollution de l’écosystème… économique qui fausse la concurrence, suce le sang de la croissance et hante, in fine, les marchés.
Contrairement aux start-up de la Tech qui peuvent être, elles aussi, surendettées et déficitaires pendant longtemps, les entreprises zombies sont considérées comme condamnées et en sursis. Plusieurs croyances alimentent ce concept.
- Primo, ces entreprises auraient passé un point de non-retour avec un déclin quasi inéluctable.
- Secundo, à cause de la mansuétude de tiers (Etats, banques, …) on les maintiendrait artificiellement vivantes au lieu de laisser faire le marché qui les achèverait.
Doit-on, dès lors, mettre le holà à l’acharnement économique, faire preuve de plus d’autorité financière et pourquoi pas crier haro sur ceux qui maintiennent artificiellement des entreprises à flot ? Comme ces économistes brillants et touchants sont eux-mêmes peu exposés aux conséquences de leurs propos, je propose d’explorer différemment ce sujet, c’est-à-dire sentimentalement…
Pour explorer le dilemme d’un dirigeant face à un point de non-retour, je prends le risque de vous parler de la mort de Vicky qui aurait pu devenir un zombie.
Vicky était un être si vivant que son souvenir m’accompagne encore aujourd’hui et c’est avec elle, alors que je croyais être un grand, que je réalisais que je n’étais qu’un enfant. Vicky était la chienne Pointer de mon grand-père (celui qui aimait sa DS comme une Déesse). Un soir, malade et déboussolée, elle alla se faire soigner chez le vétérinaire. Au moment de partir son regard canin croisa le mien et son intensité fut telle qu’il s’y grava à jamais. Je compris au retour esseulé de mon patriarche que cela ne s’était pas passé comme je l’imaginais. Il revint avec les yeux rougis et embués, et me dit "le veto l’a piquée".
Pour me raisonner, à défaut de me consoler, je me disais "Ludo, Vicky n’était pas humaine". Certes, mais elle n’était pas n’importe qui, me disais-je dans mon lit quand je pleurais en silence des larmes salées qui mouillaient mon oreiller. Vicky, comme les amis qui peuplaient ma vie, je l’aimais. Vicky vous accueillait comme l’enfant prodigue, vous réchauffait le cœur quand le monde entier se liguait contre vos efforts. Elle était à vos côtés quand vous vous sentiez seul et vous écoutait sans parler ni juger. Comme lorsqu’on est en couple avec l’être aimé, vous vous sentiez en complète sécurité avec elle, avec, qui plus est, une totale liberté.
Elle avait même un mental d’acier quand elle défiait les lévriers à la course, car "tous les gagnants ont essayé et insisté" semblait-elle me dire. Peut-être même qu’en partant elle m’a permis de comprendre qu’après sa perte inconsolable la vie continuait et pouvait se ré-enchanter. Vicky avait passé le point de non-retour, ses douleurs allaient crescendo et, d’après le vétérinaire, "il n’y avait plus aucun espoir de réduire ses maux. On a préféré qu’elle ne devienne pas un zombie". Mouais…
Cet exemple de la disparition d’un chien aimé, décidée pour abréger ses souffrances, m’incite à le transposer, d’une certaine manière, au monde de l’entreprise car il illustre une prise de conscience. Des circonstances douloureuses peuvent conduire le dirigeant à prendre des décisions drastiques pour que son entreprise ne devienne pas un zombie avant de disparaître définitivement. Plus encore que pour un être humain ou un animal, l’entreprise est un être quasi vivant dont la vitalité conditionne à son tour celle d’hommes et de femmes qui lui sont attachés. Elle ne peut se permettre de faire longtemps l’objet d’une santé fragile qui la ferait glisser vers une forme de "zombification" obligeant ses actionnaires à la renflouer éternellement dès lors qu’elle a passé un point de non-retour.
Le point de non-retour : un signal, une balise critique à surveiller
Face à un point de non-retour, au moins trois choix émergent, pour le dirigeant :
- Le récuser : le dirigeant, par optimisme aveugle, niera le fatalisme des points de non-retour, son entreprise étant, d’après lui, immortelle. Il envisagera toujours le retour des jours meilleurs, il recherchera des ressources complémentaires (le PGE, par exemple), pour durer et attendra que cela "passe", il se mettra à la cape, fera le dos rond, en pensant au prochain printemps qui reviendra un jour.
- L’accompagner : comme mon grand-père face au déclin de sa chienne, le dirigeant abrégera les derniers instants pour se réinvestir ailleurs, il tirera un trait sur le chemin passé devenu une impasse. Il fermera boutique et rendra les clés après avoir tout rangé, il tirera une croix et peut être en fera le signe plutôt que de s’acharner.
- L’explorer : en suivant l’élan vital des explorateurs, sur le modèle de Christophe Colomb, ce troisième type combinera l’imagination et la lucidité. Il niera que tout est perdu, mais reconnaîtra l’urgence de trier et donc de renoncer à certains choix passés. Il misera sur la frugalité et sur une ou deux priorités vitales pour atteindre une nouvelle terre promise avant que ses réserves ne s‘épuisent. Il croira aux signes de son destin.
Cette dernière posture est la plus inspirante pour un dirigeant, car une entreprise n’est pas destinée à mourir comme peuvent l’être les humains ou les animaux. Nombreuses d’entre elles sont d’ailleurs centenaires, voire davantage. Cette posture récuse le fatalisme et en même temps conduit à arrêter certains pans de l’entreprise. Elle fait penser à la reprise en K qui vise à désinvestir des pans entiers tout en s’investissant fortement ailleurs.
Pour la réussir, il est nécessaire :
1 - D’être acteur et non spectateur de ses choix sans attendre que l’État ou une banque décide à sa place.
2 - De disposer de l’avis extérieur éclairé d’un allié comme celui du vétérinaire dans l’exemple de Vicky. Cet allié à ses côtés, soutiendra le dirigeant, quel que soit son choix et l’éclairera de ses expertises. C’est typiquement l’esprit et la vocation de l’Entreprise Sentimentale.
Sentimentalement vôtre
Crédit photo : © mahosadha-ong-ms5GyTZmi3E/Unsplash
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