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Loi Pacte ou quand avocats et publicitaires accouchèrent de 100 raisons d’être d’entreprises françaises

On parle souvent de l’esprit d’une loi, rarement du désir qui a présidé à sa conception. L’article 169 de la loi Pacte traduit celui du législateur quand il propose aux entreprises d’inscrire leur raison d’être dans leurs statuts. Loin d’une obligation qui aurait utilisé le verbe devoir, il a préféré une invitation avec le verbe pouvoir. Rappelons qu’il n’avait pas à l’autoriser car ce n’était pas interdit (la Camif l’avait déjà fait). En laissant ce choix, l’État avait, j’imagine, envie que les entreprises en aient aussi envie.


Cette envie de réciprocité rappelle celle de nos relations humaines. Ne dit-on pas à quelqu’un qu’on connait peu mais qui vous manque déjà : "on "pourrait"… se revoir ?". C’est finalement le désir d’être ensemble, un moment ou pour longtemps, qui anime cet élan. L’État comme un sentimental a partagé le sien, en espérant, Inch Allah, qu’il résonnerait, comme deux diapasons à l’unisson.


Depuis la promulgation de la loi, tout le monde se demande comment vont réagir les entreprises : seront-elles intéressées à dévoiler leur raison d’exister ? Moi qui aime les faits, je crois pouvoir dire que c’est un succès : 18 mois, jour pour jour, après l’entrée en vigueur de la loi, la 100 ème raison d’être d’une entreprise française va naître ! De multiples stars du CAC 40 ont déjà accouché et comme à Cannes, on ne remarquera bientôt plus que les absents. Or qui dit loi… dit juriste et qui dit raison d’être dit… publiciste, car c’est LE sujet planétaire à la mode du moment.


Pour analyser ce succès, je "zoom" mon ami Thierry (celui qui se demande encore ce que Jésus penserait de la décision de Danone de devenir une entreprise à mission). De but en blanc je lance à cet ami qui préfère depuis sa "midlife crisis" la philosophie aux SI : "Te rends-tu compte de ce tournant ? Bientôt 100 raisons d’être … sans obligation législative !". En sus, j’imagine que ces accouchements ont bouleversé les relations au sein de ce couple toujours élégant que constituent, au sein des Comex d’entreprises, les legal officers et les communications leaders.


- Oui Ludo, c’est un bravo et comme on s’est juré de dire la vérité sans se censurer sur ce blog je vais t’avouer un secret. Chaque matin, quand certains consultent la météo ou leur horoscope pour savoir comment organiser leur journée, moi je vais voir si une nouvelle raison d’être est née…  Le site du cabinet d’avocat Leplay, affiche un compteur qui s’incrémente à chaque naissance. Il la présente au monde entier dans son plus simple appareil, tel Simba dans le Roi Lion.


- Moi aussi ! J’enchaîne. À chaque naissance je suis émerveillé comme avec un nouveau-né à la maternité. Ému, je lui souhaite la bienvenue, je lui souris et lui dis, telle une fée version Disney : Belle raison d’être, peu importe que tu sois née dans une famille du CAC 40 ou dans une PME, que tu comptes 3 ou 300 mots, tu es là parmi nous et on t’aime comme tu es.


Surtout qu’elles sont si singulières ces quasi 100 raisons d’être, il y en a des détaillées, des volontaristes, des concises, des faciles à comprendre, d’autres moins… Je me demande aussi ce qu’il adviendra d’elles, comme pour nos bébés, dans 10, 20, 30… ans.


Inspireront-elles toujours des salariés qui se lèveront le matin en pensant à elle ? Auront-elles rencontré leurs âmes-sœurs dans des sociétés de même vocation avec lesquelles elles auront fusionné ? Auront-elles déchaîné des passions ? Auront-elles déclenché des vocations refoulées ?  Comme aurait pu le dire Vladimir Jankélévitch, au-delà de l’avenir qu’on leur destinait tout bébé, choisiront-elles leurs destinées en aimant plus la liberté de s’émanciper que la sécurité d’une vie rangée ?


- Moi aussi, je les admire, renchérit Thierry et immanquablement, je cherche dans ces nouveaux nés des ressemblances avec leurs parents et j’imagine comment tout a commencé il y a quelques mois...


Au début, les CEO tels des marieurs inspirés, rivalisaient d’ingéniosité pour faire "matcher" leur legal officer avec leur communication leader. Mais c’était difficile de les faire se fréquenter car ils étaient … dé-bor-dés, ce qui est mauvais pour faire des rencontres et, a fortiori, un bébé. De plus, les avocats aimaient l’Ouest parisien haussmannien et les cadors de la Pub, les espaces atypiques de Pantin. On se disait qu’ils se plairaient, car ils aiment tant les mots. Mais on s’est aperçu que si on aime les mots en abondance chez les avocats, c’est avec une grande parcimonie qu’on les accueille chez les fils de pub de Séguéla, fans de slogans concis. Gageons que ces unions fécondes (quasi 100 naissances !) ont été, sinon arrangées, du moins sérieusement encouragées.


- Oui, je renchéris, las de ces atermoiements dans la friend zone d’évitement amical dans laquelle ils demeuraient, leur CEO les a réunis dans son bureau qu’on dit plein de légendes et leur a dit "L’horloge biologique des entreprises n’attend pas, et pour l’intérêt du Groupe c’est maintenant et pas dans 10 ans qu’on accouchera de notre raison d’être alors débrouillez-vous, après il sera trop tard : faites nous SVP un beau bébé raison d’être dans l’année".


La com leader, toujours promptz à saisir une opportunité de communiquer, enchaîna avec brio au Comex suivant : "Cher CEO que j’aime tant, qu’aimerais tu communiquer de notre ADN au monde entier sur notre raison d’exister ? Que manquerait-il au monde si nous n’étions plus de ce monde ?"


Mazette c’est un sacré casse-tête ta question !   Je sais en tout cas que je veux une raison d’être dont nous serons fiers … car nous avons fière allure, une qui reflète nos valeurs… car nous le valons bien, une qui génère de l’engagement… car on se demande pourquoi se lever le matin alors qu’on travaille de la maison ! Je veux qu’elle attire des CV de talents… car nous sommes sélectifs, je veux qu’elle soit un pôle magnétique qui nous aligne tous, Comex compris !, sur notre ambition stratégique et je veux des nouveaux clients fans d’authenticité… car ils payent pour cette qualité. Applaudissements en Comex. Emballé c’est pesé. La Com peut faire son bébé toute seule, si elle préfère, se disait on !


- Oui mais, CEO que j’aime tout autant, que ne veux-tu surtout pas ? insista la legal officer qui aime aussi les concours d’éloquence et pensait aux milliers de mots que lui avaient communiqué ses avocats dans leur note "synthétique" sur cette loi surnommée désir. "Sais-tu qu’elle pourrait t’être opposée cette raison d’être, c’est une obligation de moyens renforcée… pas une publicité ! et sachant que les avocats ne laisseront jamais une loi sans la plaider, dis-moi ce que tu ne veux pas faire en jurisprudence cette année. Et soyons positifs si tu voulais en profiter… n’hésites pas à me le dire. On pourrait attaquer nos partenaires sur la base du manque de sincérité. Silence et sourire en Comex, effectivement il ne fallait trop s’aventurer, la fleur au fusil, sans un.e legal advisor à ses cotés sur ce champ miné, pavé de bonnes intentions, il vaut mieux qu’ils le fassent à deux ce bébé, disait-on.


Le CEO illico presto redescendu sur terre déclara "Il ne manquerait plus que la raison d’être soit le bâton que je donnerais à mes opposants pour me rosser tel un guignol ! Je ne veux pas que des activistes ou syndicalistes m’opposent l’année prochaine notre réalité… alors que je ne clame que mon enthousiasme cette année ! Si, cependant, cela pouvait me protéger d’OPA hostiles ou d’actionnaires plus obsédés par le profit que par la planète ou les people et si la raison d’être d’un concurrent crâneur pouvait devenir son talon d’Achille, je suis preneur". Mazette, la rencontre était passionnante et palpitante.


- Oui, Ludo, c’est beau ce mariage de raison(s) professionnelle(s), dit mon ami Thierry.


Mais, il faut aussi de la passion ! Cela ne changera pas assez le monde d’écrire qu’on veut le changer car ce n’est pas parce qu’on dit…qu’on est !  L’avoir formulé c’est déjà top, mais c’est aussi le top de l’iceberg. C’est la transformation du "bottom", à savoir nos paradigmes qui façonnent nos mentalités au travail, qui fera aussi du bien à l’humanité. Ce que j’aime, c’est lorsque, à côté du travail raisonnable sur la raison d’être qu’on inscrit dans les statuts, on adjoint un travail passionné pour faire émerger notre passion d’advenir.


Sentimentalement vôtre et à bientôt



Crédit photo : © Alex Hockett/Unsplash

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