Trois jours avant la Toussaint, Facebook rendit son dernier souffle et se réincarna en Meta, qui signifie au-delà. Il prit le sigle de l’infini pour logo au cours de cette keynote halloweenienne conçue pour nous remplir de plaisir et d’effroi. La famille Zuckerberg accueillit ce jour-là des dizaines de milliers de followers dans leur maisonnée remplie de canapés. Elle la truffa pour l’occasion de paysages virtuels stylés. Cette édition de 2021 fut une sorte de prophétie du monde de demain : un discours annonciateur d’un monde meilleur, tout au moins virtuellement.
Les entreprises sentimentales, celles qui font du bien aux humains, se demandent quelles valeurs seront mises en avant dans le monde Meta. La générosité, les actes désintéressés, l’humilité ou la solidarité seront-ils programmés dans ce monde entièrement codé ? C’est avec cet espoir qu’en compagnie d’un ami fidèle je me suis plongé dans la Facebook Connect.
« Retrouvons-nous demain au Pub pour faire l’analyse méta du metaverse », me dit-il sur Messenger. Oui, cherchons ensemble les implicites derrière les explicites et le « so what » du méta pour les entreprises qui se demandent s’il s’agit d’un nouvel eldorado ou d’un coup d’épée marketing dans l’eau.
Dans le pub de Soulac-sur-Mer, on se lance dans le décodage des 13 240 mots de la keynote accessible sur le site REV et on la revisionne sans le son pour se concentrer sur le « body language » de Mark Z et sur ses décors artificiels. « Il sera plus facile de séparer le bon grain de l’ivraie de ce futur univers », se dit-on en bons Médocains. Cela commence très fort. Mark Z nous dit de but en blanc que l’internet mobile, si fringuant aujourd’hui, sera mort prochainement ! On est si surpris qu’on commande un ti punch au barman souriant dont on a du mal à imaginer l’avatar. Ce dernier, accoudé au comptoir, nous dit : « Chouette, ce sera bientôt fini les enfants sur la plage les yeux rivés sur leur écran ou les couples d’amants qui font écran à part à peine installés au bar. » On déchante quand Mark nous promet que les écrans disparaîtront au profit de casques à œillères VR pour être 100 % immergés dans la réalité virtuelle ou de lunettes AR pour voir les descendants de Pokémon nous hanter dans le quartier.
Pour se chauffer, on avale cul sec le ti punch comme un shot, on se regarde dans les yeux en se disant que bientôt ce sera une rareté de se voir de si près qu’on pourrait se toucher. Rendus optimistes par l’afflux d’alcool, nous notons les formidables possibilités que Mark, ce géant de la tech aux pieds d’argile qui avait croisé le fer avec AOC, nous promet. Nous comprenons que…
Primo, nous vivrons dans le « comme si ». Avec Meta nous travaillerons, socialiserons, jouerons… et pourquoi pas, nous nous aimerons comme si nous étions vraiment là, ici et maintenant.
Secundo, nous pourrons rester jeunes longtemps, mais virtuellement. Grâce à nos avatars, nous vivrons avec l’apparence de nos plus belles années. Comme Mark, nous n’aurons plus de rides et garderons un corps slim sans bourrelets. « Avec Meta, nous aurons enfin notre idéal du moi en payant chaque mois », dit en riant le barman.
Tertio – et cela a l’air très important –, nous pourrons enfin posséder nos achats virtuels comme dans le monde réel, et ce dans tout le metaverse ! Partout où nous irons, nos skins nous suivront.
À ce moment-là, on s’est dit : « Tout ça pour ça ? » Mais là où j’ai sauté de joie et où je me suis demandé quand cela arriverait pour de vrai et quand je pourrais acheter le casque à œillères pour myope tendance presbyte, c’est lorsque Mark nous a promis qu’on se téléporterait dans le passé. Moi qui aime Fernand Braudel et sa Méditerranée, je rêve aussi de deviser avec Socrate, de visiter la Rome antique ou faire un bisou maori à Cléopâtre. En prime, on sauvera la planète car on économisera au moins un voyage en avion par an, nous dit-il. Ce qui semble suffire pour sauver l’environnement…
Mon ami, que je croyais plus geek que moi, pâlit pourtant soudainement. Je commandai une autre tournée, sans réussir à refourguer ma cryptomonnaie, pour le requinquer. C’est alors qu’il me déclara, les yeux embués : « Ludo, comprends-tu le “so what” de tout cela pour les entreprises de L’Usine Nouvelle ? » Eh bien, pas vraiment, répondis-je sincèrement.
« Cela veut dire que la distanciation physique, sociale, amicale, sentimentale… n’est pas une parenthèse qui se refermera comme une cicatrice avec le temps, mais le début du monde Meta qui vise l’infini et l’au-delà, comme dirait Buzz l’Éclair. Nos cinq sens seront réduits à deux. Le toucher, le goût et l’odorat deviendront des espèces menacées. La poignée de main, la bise, l’accolade, le hug seront éradiqués à jamais, me dit-il en posant sa grande main sur mon bras, n’arrivant pas à retenir une émotion profondément refoulée. Le “remote living” sera à notre mode de vie ce que le bateau vapeur fut au bateau à voile, un signe annonciateur d’un changement durable, mais destructeur pour la planète. »
Je mets son revirement mélancolique sur le compte de l’alcool triste, car on se convainc que la téléportation a du bon, que peut-être vaut-il mieux un hologramme d'un parent qu’un parent absent ou, pire, violent. Insistant, il déclare avant de demander l’addition : « Ce qui me gêne, c’est l‘asymétrie des attentions de Mark Zuckerberg. Lui qui connaît tout de moi, mes secrets, mes vertus, mes vices, mes opinions comme mes passions, il me dit si peu de lui et des siens dans sa keynote. Il est plus virtuel que réel quand je coupe le son. Moi je rêve qu’il nous présente ses enfants et qu’il nous expose pourquoi Insta for kids est une bonne chose pour leur développement, qu’il nous dévoile la philosophie de ses algorithmes sans qu’on l’y oblige, car je le crois sincère quand il veut changer le monde pour le meilleur grâce à la technologie. »
Ok, c’est promis, on le taguera quand on postera ce billet sur Facebook pour qu’il nous réponde officiellement. « Tchao les amigos, et revenez voir les Girondins de Bordeaux gagner grâce à Jimmy Briand », nous dit le barman, content de nous avoir accompagnés dans nos premiers pas dans le metaverse autour d’un verre.
Sentimentalement vôtre.
Crédit photo : © Splash Adam Nemeroff
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