À l’occasion de la visite officielle du président français aux États-Unis, Le Monde, Libération, The Guardian… ainsi que Dominique Seux et Thomas Piketty sur France Inter s’interrogent sur l'intimate strategy de réindustrialisation française.
Rappelons que les États-Unis votent une loi qui subventionnera les entreprises « patriotico-écologiques », notamment celles qui produiront sur le sol américain des batteries pour véhicules électriques. La France craint de faire les frais de ce plan un tantinet protectionniste.
Les commentateurs ne critiquent pas l’Amérique – « Qu’on laisse les États-Unis défendre leurs intérêts » en blanchissant écologiquement leurs pétrodollars couleur de schiste –, ils critiquent l’Europe. Enfin, défendons-nous, rendons coup pour coup, dent pour dent, sinon la vieille Europe se fera avoir en grand. Allons-y de notre Buy European Act qu’on pourrait décliner par régions françaises, comme aiment le faire les Bretons avec leur Breizh Cola. Et si des entreprises peu attachées à leur terroir et alléchées par l’odeur des subventions s’installent aux Amériques, ainsi soit-il. Dieu pour tous, mais chacun pour soi, concluent-ils, car le monde des investissements est a-sen-ti-men-tal. Telle est la loi de la concurrence entre gouvernements subventionneurs. Ils récoltent ce qu’ils sèment, des entreprises mercenaires chasseuses de primes publiques. En bref, la conclusion est que la France ferait preuve de trop d’angélisme pour le libre échangisme économique, de trop de finesse dans un monde trop brut.
Heureusement, le président Macron n’a pas choisi cette solution. Lui qu’on sait parfois sanguin a dû tout de même piquer une colère en entendant l’annonce de cette loi nommée IRA. « Quoi ?! Nous faire cornériser par l’allié ricain !? Jamais. »
Alors qu’on lui conseillait la bonne vieille loi du talion, pour se souder contre un ennemi commun, il a dû déclarer qu’« au contraire, la solution c’est la coopération ». Mama mia, se sont dit ses conseillers, qui pensent que la coopération marche surtout sur le papier, mais peu dans la réalité.
Moi, l’oreille vissée à mon poste de radio tout en me rasant (même si c’est peu commode, je l’admets), je me suis dit… qu’il a raison, le président Macron. La coopération est une arme de construction massive. On ne sauvera pas notre monde en déshabillant Paul par des prélèvements pour habiller Jack en le subventionnant. On réussira en coopérant, en partageant, en mutualisant plutôt qu’en répondant à une protection par une nouvelle subvention.
On gagnera des défis grâce aux passes décisives, comme le font les footballeurs, en faisant confiance, comme le faisait l’Assurance maladie en plein Covid. N’en déplaise aux « pragmatiques » qui nous trouvent utopiques, ce ne sera pas par générosité, mais par efficacité. Quand on coopère, on est unstoppable, comme on dit aux States. Pas besoin d’avoir fait Polytechnique ou de sortir de Saint-Cyr pour savoir que des alliés soudés peuvent gagner contre plus fort qu’eux sur le papier. Et pas besoin d’un MBA de Harvard pour savoir que cela fait du bien d’être inclus et mal d’être exclus, il suffit de l’avoir vécu.
Cependant, reconnaissons que la coopération ce n’est pas coton, c’est même un concept abscons avec plein d’idées pas piquées des hannetons. La coopération c’est formidable, mais surtout friable, on peut mettre des générations à la construire et une minute pour la détruire. Ce n’est pas impossible, mais c’est compliqué, car cela nécessite d’aligner des intérêts dans la durée ! Il est utile d’avoir des valeurs communes pour se sentir en sécurité dans la relation, mais il faut aussi des sanctions pour décourager les passagers clandestins, des profiteurs non payeurs ! Coopérer, c’est aussi courir le risque d’être déçu de voir des paroles données non honorées, pour à la fin penser, à tort ou à raison, qu'« être trop bon, c’est être trop con », comme disait ma grand-mère.
Mais tout cela, le Président le sait et cela ne l’arrête pas pour autant. Renonçant pour le moment à son engagement de sobriété, il a sûrement déclaré à son cabinet qui lui proposait une réunion en visio avec Jo Biden : « Fuck Teams, Meet et Zoom réunis, on va cramer du CO2, mais on part aux States en avion à réaction voir celle de l’oncle Sam. Je veux voir de mes yeux bleus ceux de Jo qui est un peu mon oncle d’Amérique, moi qui ai l’âge de son fils décédé. Et moi je me suis marié avec une femme blonde comme les blés qui a toujours aimé enseigner. En plus, je veux éviter une guerre des subventions, qui profiterait surtout aux actionnaires investisseurs plutôt qu’aux travailleurs payeurs ! »
Il ajouta : « Il y a du sable dans les rouages de l’axe Atlantique, alors je veux qu’on le traverse cet océan. Trouvez-moi le gotha français qui parle anglais avec un accent français, qu’on y aille en nombre. Partons parler au boss de l’Amérique pour déboguer cette loi. » Pour conclure, il demanda à son aréopage de conseillers : « Pour réussir ma crucial conversation avec Jo Biden conseillez-moi utilement et sans recourir à McKinsey ! Trouvez-moi des conseillers français spécialistes de la coopération et qui aiment les Américains. » Mazette ! se dirent les conseillers une fois Emmanuel parti, comment faire ?
C’est à ce moment-là que, coïncidence ou synchronisme, je reçu un étrange coup de téléphone en numéro masqué d’une personne qui se présenta comme un conseiller de l’État français. En voici des extraits.
« Monsieur Herman, vous êtes bien l’auteur du blog “L’entreprise sentimentale”, qui décode ce qui fait battre le cœur des entreprises ? Et c’est vous qui avez qualifié notre Président de leader sentimental ? Est-il vrai que vous aimez les États-Unis pour y avoir étudié et même que vous avez été dans le passé in love d’une femme du Midwest ?
– Oui, c’est exact. Vous êtes bien informé », répondis-je, impressionné.
« Je vous préviens que cet appel est secret mais enregistré car c’est une affaire d’État dont vous ne pourrez faire état que dans L’Usine Nouvelle. Voilà, le Président doit donner envie à Jo de coopérer plutôt que de “ne pas nous calculer”, comme disent nos enfants. Or, il semble que Jo veuille faire cavalier seul et pratiquer la loi du talion avec la Chine. Et nous considérer comme une variable d’ajustement. Nous vous demandons quels conseils pragmatiques, du field tested, comme on dit dans les Marines, i.e. éprouvé sur le terrain, vous pourriez nous donner car on parle avec des Américains. »
Croyant à un appel entrant d’un prospect rêvant de devenir client, je répondis, comme on fait outre Atlantique : « Of course, monsieur le conseiller. Quel est votre budget ?
– Non, non, n’espérez pas de rémunération car le budget de la France est déficitaire. On donne déjà beaucoup de subventions et je sais que vous aimez dispenser des conseils bénévolement sur L’Usine Nouvelle. Il n’y a pas que l’argent dans la vie, n’est-ce pas ? Enfin soyez casual, car avec Jo, on doit être direct, amical, pas de vouvoiement SVP. »
Pris par les sentiments, j’acceptai, même si le tutoiement me gênait.
« Voici ce que je dirais au Président :
“Emmanuel, je te conseille de lire deux livres dans l’avion qui t’emmènera en Amérique : un américain et un français.
Le premier, ce sont Les cinq langages de l’amour, de Gary Chapman, ce psychologue américain qui clame une idée simple : nous avons tous, Jo compris, un langage préféré de l’amour parmi cinq possibles. Comme tu ne sais pas celui qu’il préfère, active les cinq, un fera mouche :
Multiplie les contacts physiques. Donne-lui une longue poignée de main, une accolade, une tape dans le dos, un hug, pourquoi pas.
Offre-lui un service. Par exemple, demande-lui ce que tu peux faire pour lui si tu rencontres Elon Musk lors de ton voyage.
Passe du temps avec lui. Au moins deux heures, du quality time, car Jo se sent peut-être seul dans sa grande Maison Blanche.
Valorise-le avec des paroles élogieuses. Dis-lui qu’il est beau, intelligent, qu’il a un sourire ultra-bright…
Soigne les cadeaux. Trouve un truc rare, une attention qui vise le cœur, par exemple un air de musique qui lui rappelle la première date de sa love story avec sa femme si sympathique.”
– Merci, monsieur Herman, why not. C’est effectivement très sentimental, mais au cabinet nous craignons que les sentiments ne suffisent pas. Vous n’auriez pas une méthode qui marche quand il y a de la défiance ou de la distance ?
– Si, j’en ai une. C’est le deuxième livre, La dynamique de la confiance, avec une méthode très efficace que j’ai testée avec le comex de RATP Dev America. Il s’agit de PAT-miroir, de la société Cooprex. Ce sont des ingénieurs de l’UTC qui ont modélisé les mécanismes de la coopération. Cela dure deux heures pendant lesquelles on explore successivement les peurs, les attraits et les tentations de profiter de la situation de la France, puis des États-Unis avec cette loi. On en déduit les actions pertinentes. C’est impressionnant d’efficacité.
– Merci, monsieur Herman. Je dois vous quitter, on file à l’aéroport du Bourget. Les moteurs sont allumés et ça consomme un max, alors merci pour votre générosité, je vous raconterai. »
Sentimentalement vôtre
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