La réputation d’une entreprise est une arme à double tranchant : une bonne réputation donne un avantage inestimable mais la perdre peut lui être fatale. D’ailleurs, la volatilité des réputations pourrait être supérieure à celle du marché des actions. Voilà ce que m’a inspiré Léa Salamé, s’exprimant dans son 7/9 sur le cas d’Orpea sur France Inter. Me revenaient en mémoire les paroles de ma grand-mère picarde qui aimait lire dans Paris Match le poids des mots de Valérie Trierweiler : "Mon tiot Ludo, souviens-toi qu’en amour, comme en affaire, une réputation prend plus de temps à se faire qu’à se défaire".
Pour décoder ce sujet, je contactai Aurore, cette amie fan de sensations au travail et de revival des managers vinyles. Inspirante comme le son d’un cœur qui bat la chamade, elle confirme mon intuition : « Toute entreprise désire que sa marque rayonne, être compétitive ne lui suffit plus, elle doit aussi être attractive ». Quand sa réputation attire clients, talents, fonds d’investissements, elle est en position de force. Elle (im)pose ses conditions sans même les négocier ; c’est à prendre ou à laisser et vous êtes juste libre de partir ou de rester. Dans ce monde sans pitié, les entreprises soignent leur popularité. Attention, au sens américain - popular - et non marxien - classes populaires - du terme. Elles (se) dépensent sans compter pour attirer. Les plus douées réussissent à mettre des étoiles dans les yeux de leurs candidats qui, tels des prétendants, rêvent de s’associer à leurs destinées. Ainsi en allait-il d'Orpea, n°2 du marché français des EPHAD et 5ème sur 113 du classement de Sustainanalytics en ESG (1) quand elle occupait précisément cette position favorable, il n’y a pas si longtemps.
A l’autre bout du spectre, des entreprises perdent leur réputation. À cause de fautes professionnelles ne concernant qu’un seul de ses bureaux, Arthur Andersen mourut en quelques semaines. D’un seul coup, ce numéro un de l’audit, devint le moins que rien du secteur. Ses fautes mêmes avouées ne lui furent jamais pardonnées, il disparut du marché.
Quant à Orpea, membre des indices SBF 120, STOXX 600 Europe, MSCI Small Cap Europe et CAC Mid 60, l’entreprise chuta en bourse dès que son amoralité fut révélée. "Le plus grave, me dit Aurore, qui avait hésité à choisir Orpea pour sa mère, car bien classé (7 places dans le top 21 !) dans l’enquête des Echos fin 2021, ce n’est pas tellement qu’ils cherchent à réduire les coûts et à marger sur les fournisseurs…"
Surpris, je répondis "Vraiment, Aurore ? Mais enfin on parle d’êtres humains !"
Telle une femme d’airain, elle poursuivit en me regardant franchement. "Ludovic, qui rime avec angélique, il faut que tu comprennes que toutes les entreprises ne sont pas sentimentales (c’est-à-dire qui font du profit et du bien aux humains qui leur sont liés), elles peuvent demeurer strictement vénales et faire du profit leur unique vocation, c’est leur droit. Le scandale c’est que rien ne laissait deviner cette stricte vénalité, cette amoralité, même leurs actionnaires engagés comme Mirova se sont laissé tromper."
Comme l’écrit Le Monde « sur la base des critères ESG Orpea était jugé favorablement par les agence de notation financière (…) elle est passée de la 34e à la 5e place (sur 113) par Sustainanalytics en 2021. Qui sait, Orpea était peut-être même compliante aux règlementations, avait peut-être émulé ses fournisseurs avec l’aide de big brother du bien comme Ecovadis, avait peut-être aussi une charte de valeurs affichée, et une politique RSE formalisée ? Ne fut-elle pas lauréate du Trophées d’Excellence 2019 de la Chaire «Master Droit et Ethique des Affaires » de l’Université de Cergy-Pontoise ? Ne fut-elle pas certifiée ISO27001 ? Tous ces trophées sont pourtant coûteux.
- Crois-tu alors Aurore que ce soit le début d’une réévaluation généralisée des réputations des entreprises bien notées en ESG ?
- Oui, car les Asset managers de fonds ESG vont être fâchés d’être les dindons d’une farce à la bonté et un nombre croissant d'entreprises s’affichent dans ces palmarès qui fleurissent. Beaucoup communiquent sur leurs indicateurs comme leur taux de CO2, leur pourcentage de féminisation comme preuve de leur bonté ou humanité. Or, Orpea montre que ce n’est pas parce qu’on dit, qu’on est. Dans cette course à la réputation, l’arbre des notations peut cacher une forêt d’autres intentions.
Du côté des notés, la quête de la certification, du label ou de l’indicateur peut remplacer la louable intention de départ. Du côté des notateurs, si leur vocation est centrée sur leur profit (ce qui est souvent le cas), la tentation de jouer des notations comme une incitation à vendre beaucoup de missions "d’amélioration" est réelle puisque c’est souvent leur business model.
- Mamma mia, mais comment s’y retrouver, Aurore, si ce n’est pas en notant, comment distinguer les entreprises sincères des faussaires en matière de bonté ? Heureusement qu’ils ne sont pas soupçonnés de cruauté animale comme Kurt Zuma, ce talentueux défenseur des Bleus redouté par les attaquants du monde entier qui a perdu sa place en équipe de France au moment où son frère publiait une vidéo où on le voit brutaliser son chat.
Et bien justement je vois dans cette vidéo cruelle un signe d’espoir avant-coureur pour les dirigeant.es d’Orpea et autres entreprises bien classées ! Celui de rendre public ce qu’ils sont au fond. Je crois qu’il est temps, pour sauver leur réputation et le sort de leurs 70 000 salariés, qu’ils soient sincères sur leurs convictions, cela parlera plus que leurs classements ESG.
Les leaders inspirants de ce monde ont tous puisé dans leur authenticité pour nous inspirer. Tous se sont exposés et nous ont parlé des choix personnels ou renoncements qui ont ponctué leur existence. Ils n’ont ni caché leurs succès, ni leurs difficultés et certains, comme Emmanuel Faber, nous ont même partagé un coin de leur jardin secret à HEC ou dans cet article du Monde pour nous motiver.
Derrière les patron.ne.s des groupes cotés j’ai envie de connaitre leurs choix d’hommes et de femmes. Sans voyeurisme, je suis intéressé à connaître comment ils incarnent leurs engagements ESG pro dans leur vie perso. Les dirigeants d’Orpea, hébergent-ils leurs parents dans leurs établissements, y emmènent-ils leurs enfants goûter le repas de leur grand parent ? Et s’ils ne sont pas parfaits (mais qui l’est ?), s’ils crament du CO2 pour aller à Ibiza en hiver comme M. Blanquer, ils s’exposeront certes au regard d’autrui et même à la raillerie de certains jugeant.es mais, en parlant de leurs valeurs incarnées, ils seront plus courageux que tous les autres dirigeant.es de l’index.
Enfin, s’ils écoutent Brenne Brown, cette chercheuse américaine cinq fois NY times bestseller sur le courage, la honte ou la vulnérabilité, il se diront que les partager n’est pas une faiblesse mais le plus grand courage qui puisse exister.
(1) ESG : critères Environnementaux, Sociaux et de Gouvernance
Sentimentalement vôtre
Crédit photo : © Dominiqk Lange - Unsplash
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