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Photo du rédacteurLudovic Herman

Relation client, ou quand Netflix décide de rompre avec ses 900 000 meilleurs clients


La vocation de toute relation client est de conquérir et de fidéliser, ad vitam æternam, ses meilleurs clients. Des générations de commerciaux, "chasseurs" comme "farmers", se succèdent pour n’en perdre aucun. Alors, quand Netflix annonce s’apprêter à résilier l’abonnement de ses 900 000 abonnés absents et leur dire "Je te quitte… mais c’est pour ton bien", mon cœur s’arrête de battre l’espace d’un instant.


Eddy Wu, le fringuant directeur de l’innovation, fier d’avoir fait un stage à l’étranger, l’annonce sur son blog : "Comme les temps sont durs, il est temps de rompre avec les abonnés qui dorment depuis plus d’un an." Bouleversé par cette décision financièrement paradoxale, je me dis qu’il est important d’analyser cette innovation… de rupture en matière de relation client.


Ma première larme, car une rupture ne me laisse jamais insensible, va pour le CFO arrivé début 2019 : Spencer Neumann. Ce dernier s’est toujours félicité de la fidélité de ses 900 000 clients dormants. Alors, leur dire maintenant "tchao", ça lui tord les boyaux ! Et tandis que ses nouveaux compagnons du CoDir (Comité de direction) se disputent sur l’avenir, un autre souvenir de rupture émerge des limbes de sa mémoire. L’amour de sa vie fermant la porte et qui lui claque : "Où est le mérite de gagner autant d’argent quand on ne prend aucun risque ?!" Sans avoir froid aux yeux, le regard embué de colère, elle s’en est allée entreprendre une vie nouvelle.


Alors vous imaginez bien que Spencer n’a jamais envisagé, même dans ses cauchemars les plus noirs, résilier l’abonnement de clients non résignés à se séparer ! Il a, au contraire, un total crush pour les "dormants" : leur fidélité indéfectible et leur impact environnemental (0 octet de data consommé) l’émeuvent beaucoup. Le CFO espérait même dépasser le million d’abonnés absents pour simultanément augmenter la valeur de l’action et baisser l’empreinte carbone de Netflix.


Rassemblant ses idées, il jette alors cash en plein milieu du board meeting ce qu’il répétait ce matin devant sa glace teintée (pour avoir l’air bronzé) : "Tout cette affaire va nous coûter 100 millions de dollars par an… soit 5 milliard de dollars cumulés sur 50 ans (le reste à vivre d’un abonné moyen) ! Même si nos "dormants" font autre chose de leur vie que de regarder en série celle des autres, laissons-leur la liberté de payer."


Reed Hasting, le fondateur, tente de rassurer son CFO affolé : Netflix lancera une relance sous forme de last chance : "Mon cher abonné absent, je t’aime. Alors cède s’il te plaît à ma dernière avance… sinon je te quitte." Il suffit ensuite que le client se remette à consommer une fois, comme le couple séparé qui se "retrouve" le temps d’un dernier soir, pour que le compteur revienne à 0. Et voilà ! Le tour est joué !


Reed - rappelons-le - est un homme généreux, il aime les progressions exponentielles boursière et familiale : il a une femme, deux enfants, quatre chiens ! Encore un leader sentimental, me dis-je intérieurement. Il enchaîne : "Steve, regarde la global picture : Netflix ne veut surtout pas être assimilé au côté sombre des Gafa. C’est du #Techforlove qu’on vend, au sens propre comme au figuré ! On est les inventeurs du Netflix chill. Alors, 100 millions par an pour être le héraut héroïque de la Tech sentimentale mondiale, ça les vaut !"


Oui, mais. Tout cela pose une autre question… car en amour, comme en affaire, il y a toujours ces satanées questions. Est-ce une preuve d’amour que de quitter l’autre par générosité, comme le propose Netflix ?


C’est très douteux ! S’inquiète une board member fan de séries sentimentales, et qui souhaite garder l’anonymat. Quand on déclare : "Chéri.e, je te quitte… mais c’est pour ton bien tu sais !", on est plus susceptible de générer du BAD WILL à long terme que du GOOD WILL durable.


Il ne manquerait plus que notre bienveillance soit interprétée comme de l’hypocrisie, déclare Reed. Il faut réussir à ce que la rupture soit perçue positivement.


Une "disrupture" sentimentale ? propose le patron du marketing. Le board invite Mark Duplass, scénariste de Blue Jay (une production originale Netflix sur un couple amoureux déchiré par l’existence et à qui la vie donne une deuxième chance), pour imaginer la scène de disrupture entre Netflix et un abonné absent.


Je vous partage ici, en exclu, un des tous premiers rendus :


Netflix La voix chargée d’émotion "C’est bientôt fini entre nous abonné absent ! Au début, tu me dévorais des yeux, tu pensais à moi H24… On a partagé tant d’émotions tous les deux : on a ri, pleuré, frissonné (par écran interposé). Avec moi, tu as vécu des dizaines de vie (par procuration). Tu parlais de moi à tes amis et à ta famille les yeux scintillants, et en cachette tu partageais mes (codes) secrets. Tu étais libre de partir quand tu veux… "juste un mot et je suspens tes prélèvements à la fin du mois commencé." Eh bien non ! Au lieu de me dire en face que je ne te plais plus, tu as cessé de me regarder, tu ne réponds plus à mes messages (pourtant ciblés) ! Silence vidéo depuis un an ! Une relation où tu me donnes de l’argent sans qu’on partage quoi que ce soit, moi, je n’en veux pas. Je te libère donc de notre relation… pour ton bien financier.


L’abonné absent

Merci de ton attention Netflix, je suis touché… mais je ne veux pas de commisération. Oh, je ne te reproche rien ! Je sais que tu dois atteindre tes objectifs et honorer tes engagements… J’apprécie sincèrement ton geste, car tu es très endettée comme licorne. Je ne te regarde plus - certes - mais je t’aimerai toujours et penserai à toi plus souvent que tous ceux qui te regardent tous le temps.

Tu ne veux plus de moi ? Très bien. C’est ton droit. Mais de grâce ! Ne dis pas que c’est pour moi. Et si c’est pour paraître généreuse que tu fais tout ça, j’ai une meilleure idée à te proposer… Tu te souviens comment tout a commencé entre nous ? Tu te souviens comment tu m’avais séduit avec un premier mois gratuit ? Oui, pourquoi pas un dernier mois gratuit, pour tout recommencer ?


J’ai peiné à reconstituer pour vous les dernières phrases de l’abonné… trop de ratures. L’œuvre de Spencer le CFO ? Je suppose que le "cost" en plus, plus horrible qu’un manque à gagner en moins, l’a achevé. Sans parler de la hausse de data consommé (donc de CO2) ! Le script reprend :


L’abonné absent Installé au restaurant en tête-à-tête avec Netflix pour un dernier rendez-vous, durant lequel il espère un retournement.

"Netflix, dis-moi ce que tu ressens au fond de ton cœur s’il te plaît car chez moi c’est si fort."


Netflix Déterminée

"Je sais que tu ne vas pas succomber au chant des petites sirènes de Disney +, alors je te parlerai franchement. Regarde dans mes yeux qui ne clignent pas d’un seul cil, et écoute-moi : je ne t’aime plus, c’est fini. D’ailleurs, ça n’a jamais vraiment commencé entre nous tu sais, tu n’es qu’un client lambda. Je n’éprouve vraiment rien pour toi."


L’abonné absent Intérieurement

Dieu ! Que ce déjeuner de rupture est amer… mais nécessaire, comme de voir la fin d’un film pour pouvoir l’oublier. Ô belle Netflix ! Si nous ne sommes plus, si notre relation se meurt et que dans ton cœur la fin est consommée, c’est que nous avons été et que je n’ai pas rêvé. Si tu es déterminée à rompre, c’est qu’un jour, nous fûmes.


L’abonné absent À Netflix

"Oui Netflix, tu as raison. Arrêtons ici tes prélèvements…

OK. GO pour la disrupture de cette relation bancale ! Car dans break up il y a up, s’exclame Reed à la première lecture du script. J’aimerais donc que cette séparation sème les graines d’une nouvelle relation pour une prochaine saison.


Au quasi-million d’abonnés qui vont être remerciés, je veux que notre "Non" ensemence leur cœur d’un désir ineffable de dire "Oui" quand reviendra le temps des amours. 1, 2, 3…10 ans de séparation ? Peu importe ! Du moment qu’on soit à nouveau réunis jusqu’au dernier jour de notre existence. Comme Hollywood, nous ne serons jamais leur first love… mais nous serons peut-être leur dernier. C’est ça… une relation client très long terme !

Ouf ! business et sentiment font bon ménage finalement.


Sentimentalement vôtre et à bientôt

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