Quand Mazarine Mitterand Pingeot révèle dans l’Obs son souvenir du jour où son existence fut révélée au grand public, je me dis que les secrets de familles, comme ceux des entreprises sont d’actualité. Elle m’émeut quand elle déclare « Toute ma raison d'être qui était le secret, ce qui faisait mon identité, s'effondrait ».
Pour analyser les enjeux liés aux révélations des secrets en entreprise, j’invite Lisbeth, mon amie spécialiste en cyber-sécurité, dont le prénom a été changé pour l’occasion, à me retrouver au cœur du Paris secret. A peine arrivée, elle m’intime d’une voix discrète mais sans appel : « Ludo, coupe ton téléphone, garde ton masque qui empêche de lire sur nos lèvres et remercie le chant des oiseaux qui perturbe les éventuels micros. Tu sais que je sors de 30 heures non-stop d’un lieu tenu secret pour sauver un réseau infesté de virus à un stade avancé, alors écoute moi, j’ai des révélations à te faire ». « Oui dis-moi tout » dis-je, sincère, le visage masqué.
La guerre mondiale entre services secrets est-elle déclarée ?
« On ne nous dit pas tout, Ludo ! Mais The Guardian dans son article « the US has suffered a massive cyberbreached » s’est lâché et nous en dit beaucoup. Ce journal que j’aime pour son esprit et son prix libre révèle pudiquement mais publiquement les dessous de la plus grande cyber invasion de tous les temps. On y apprend que les cyber espions russes ont profité de la « guerre » contre le COVID pour lancer la guerre contre nos secrets. Il se sont invités au sein de 17 000 réseaux informatiques de pays rivaux. La NSA, souvent avant-gardiste sur le sujet, reste scotchée par cette cyberinvasion qui irrita Jo Biden dès sa nomination. Il faut dire qu’accéder, grâce à un cheval de Troie nommé Orion, aux systèmes d’information de 425 des Fortunes 500, de 5 des Big 5,… c’est mythique à souhait. L’attaque russe s’inspire de combinaisons militaires : des attaques simultanées, des mouvements latéraux pour ne pas se faire repérer, l’enfouissement de taupes et mouchards pour agir le moment venu… un vrai cas d’école de guerre digitalisée ».
« Mazette les hackers flibustiers ne chômaient pas en 2020 », je me dis, tout en étant épaté par tant de cyber créativité organisée.
Elle ajoute « dans l’article, les Américains qui font de l’attaque leur défense (sic), s’inclinaient avec fair-play…. Beaux joueurs, ils auraient presque déclaré : « Chapeau les soviets, on regrette juste de ne pas avoir été les premiers à avoir attaqué ! » LOL.
Face aux intrusions, que partager, protéger, divulguer ?
« Certes Lisbeth, mais ce n’est pas une déclaration de guerre car elle serait répréhensible. C’est de l’espionnage qui est monnaie courante puisque largement pratiqué dans le monde entier. Et pour revenir à Mazarine, l’engouement du pouvoir pour l’espionnage ne date pas d’hier. François Mitterrand, un papa-gâteau, dixit Mazarine, était un président élu démocratiquement qui a plus ou moins couvert des écoutes pour protéger son secret chéri. « Rien de mieux que capter secrètement l‘information pour asseoir sa domination » aurait-on pu dire à l’Élysée où le savoir était l’ami du pouvoir. D’ailleurs c’était par pur sentimentalisme qu’il cachait Mazarine, le fruit défendu de l’amour caché de sa vie face à tous les paparazzis.
— D’accord, répond Lisbeth, mais comme les réseaux sont de plus en plus attaqués et que la demande de transparence croit de façon exponentielle, se pose pour chaque COMEX la question du « quoi partager » ? Quoi protéger coûte que coûte ? Quels secrets transformer en confidence ? Quelle transparence adopter et en quelles circonstances ? Quels droits et devoirs face à la divulgation d’information, parfois par effraction…Autant de questions qui ne trouvent pas de réponse simple.»
La révélation d’informations peut aussi avoir le don de déclencher de bonnes révolutions
Je lui réponds « Diable, ce sujet n’est pas coton, car la libération d’une information tenue secrète a aussi du bon, elle peut même déclencher une bonne révolution. Le film Festen révéla au grand jour le drame des secrets familiaux et transformèrent les repas dominicaux. Les lanceurs d’alerte révolutionnèrent le partage des secrets dans nos journaux. D’ailleurs, c’est peut-être leur engagement pour les vérités publiées qui leur vaut d’être traqués, harcelés, détestés par nos gouvernants qui jurent pourtant, même sur la Bible pour certains, de ne pas mentir quand ils prêtent serment.
Enfin c’est grâce aux révélations de femmes qui dénoncèrent les sordides harcèlements et agissements d’hommes repoussants en disant « me too » qu’on peut remettre désormais l’église de la vérité au centre du village de nos sexualités. »
L’ordinateur quantique sera un « game changer », peut-être pour le pire mais, pourquoi pas pour le meilleur ?
« Ludo merci pour tes mots qui me touchent, mais dis-toi que nous vivons encore dans une préhistoire technologique. Avant l’avènement de l’ordinateur quantique que nous, les geeks, attendons comme le messie, dominer, sous peine d’être dominés, motive la course à la technologie entre États et GAFA. Le vainqueur pourra piller sans vergogne les coffres-forts numériques du monde entier. La technologie quantique apportera à la cyber-sécurité ce que la bombe nucléaire offrit aux militaires : un « game changer », un avantage décisif au premier arrivé.»
Elle ajoute « La ligne d’arrivée est en vue », annoncent Jean-Francois Bobier et Pierre-Yves Jolivet, tes amis du BCG qui tous les deux travaillent sur ce sujet. Dans un avenir proche (50% de chance d’ici à 2031 de casser le RSA 2048 bits, la Rolls du chiffrement), aucun code ne pourra résister à qui détiendra ce mythique processeur. Il régnera tel un dieu omniscient sur notre monde digital, autant dire simplement « sur le monde ».
Et alors ? répondis-je, peut-être que ce sera une époque formidable où nous verrons comme effet collatéral positif de cette guerre digitale davantage de scoops publiés ? Des vérités révélées, pourquoi pas par les services secrets qui choisiront de partager plutôt que d’accumuler ? Des « dessous des cartes » expliqués ? On découvrira peut-être que les entreprises sont plus sentimentales qu’il n’y paraît, que leurs CEO plus généreux et que des dizaines de politiques sont plus altruistes qu’égoïstes. Des centaines de lettres d’amours interdits comme celles de François à Anne, la mère de Mazarine, seront peut-être libérées des disques durs pour enchanter le monde et nous faire en même temps pâlir d’effroi et rougir d’émoi devant tant de mots d’amour refoulés et désormais partagés. A contrario, on découvrira aussi que des hommes et femmes qualifié.e.s de saint.e.s sont parfois plus malsain.e,s qu’on ne l’imagine. Ce sera tant mieux, car on ne mettra plus jamais nos enfants entre leurs mains.
Dans le business world, lorsqu’Apple sera soumis à une attaque quantique, la pomme renouera sûrement avec ses origines libertaires et rétorquera « je ne négocie pas avec les hackers et d’ailleurs pour le progrès de l’humanité j’ai décidé de livrer tous mes secrets ». Pfizer inspiré par cet élan de générosité libérera ses brevets pour protéger les pays défavorisés. Même Coca-Cola décidera de marier sa formule secrète avec celle de Pepsi pour célébrer ce changement. Le président Poutine dira, fier comme Artaban, « l’histoire retiendra que tout cela, c’est grâce à moi ! Car j’étais le premier à prouver qu’un secret d’État ne résiste pas à la glasnost russe ».
Le secret des geeks françaises ? Ne pas en avoir entre elles !
Je conclus avec Lisbeth sur la question : « Comment pourrait-on aider à transformer la culture du secret des entreprises avant que l’ordinateur quantique de s’en mêle ? Comment pourrait-on faire du bien plutôt qu’espionner nos prochains. Comment faites-vous, vous les geeks, sur ce sujet ? »
« Notre secret à nous les geeks françaises pour rivaliser avec les Ruskoffs, comme disait Cavanna, c’est qu’on travaille de concert, main dans la main, PC contre PC : on s’aide tellement que ça en devient indécent. Et si tu veux connaître notre plus grand secret ? C’est qu’on n’en a pas ! Quand nous nous rencontrons, nous nous disons tout, nous partageons tellement mais oralement, évidemment. Oui, Ludo, on lave par oral notre linge sale digital. On ne joue pas à action ou vérité, nous sommes action et vérité.
Comme on sait que tout ce qui est dans nos systèmes pourra être révélé un jour ou l’autre, on se le partage en amont. Nous clarifions les pourquoi de nos secrets et, si nécessaire, on se demande pardon. On s’inspire même de l’atelier : « le crachage de valda » dont tu devrais révéler le secret en message privé. Certes, c’est chaud de se dire la vérité en entreprise quand on n’y est pas habitué. On pourra essayer de nous faire chanter ou divulguer nos écrits on assumera et expliquera toujours nos pourquoi ! »
Crédit photo : © K. Flour Unplash
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