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Photo du rédacteurLudovic Herman

Valeurs, ou quand la NBA se demande si Victor Wembanyama, le surdoué du basket pourrait les ébranler


«Avec ton obsession des valeurs tu finiras seule», déclara un jour un prince charmant à sa princesse en s’en séparant. Cette princesse, devenue une femme d’affaires qui aimait vivre en accord avec ses valeurs, me le raconta et je me demandai si des entreprises pouvaient péricliter par excès d’intégrité.


Cette femme d’une intelligence et d’une élégance remarquées restait toujours très engagée pour ses idées. Elle aimait les valeurs de justice, de loyauté et de fidélité et se battait pour les faire respecter. Sa confidence m’interpella et je me demandai sur le moment pourquoi le fait de respecter nos valeurs pourrait nous reléguer à l’isolement et si ce sujet constituait une menace ou une opportunité pour les entreprises. Devient-on si peu accommodant avec nos valeurs qu’on en deviendrait incommodant ? Sur le moment j’y pensai et puis j’oubliai de le lui demander.


Les valeurs d’entreprises : un nice to have devenu un must have

C’est la une de la Harvard Business Review : « What Does Your Company Really Stand For? » associée à la victoire à Las Vegas de Victor Wembanyama, notre Mbappe du basketball qui m’a rappelé ce sujet. L’illustre revue américaine pointe le fait que l’alignement des actes d’une entreprise sur ses valeurs, hier un nice to have, presque un luxe dans le monde des affaires, est devenu un must have, une nécessité. La HBR a même chiffré que le désalignement d’un dirigeant coûte 40% de salaire en plus pour le motiver. Depuis, tous les fonds d’investissement actionnaires de Total s’inquiètent que P. Pouyannet demande demain 40% de plus s’il adoptait des valeurs non fossilisées. Elle rappelle aussi que l’alignement entre les valeurs clamées et celles qui sont incarnées augmente l’engagement.

Pour ceux qui l’ignoreraient, la NBA est en ce moment sans dessus-dessous sur la question de ses valeurs. Ceci depuis que Slam (le magazine US des fans de basket) a mis Victor à sa une. Ce joueur français, aussi grand qu’un géant a même été qualifié d’extra-terrestre par LeBron James, une star dans la galaxie du Basket. La NBA pensait que ses valeurs de compétition, de gagne, d’émulation étaient inébranlables, mais voilà que les dieux des stades de basket ont voulu l’éprouver.

En effet, chaque club de NBA va se poser la question de ses valeurs cette année, car pour recruter Victor il faudra … perdre le maximum de matchs cette saison. Lors du « draft », le marché des basketteurs surdoués issus de l’université ou de l’étranger qui intègrent la NBA, il existe un processus de re-distributivité inspiré d’une promesse chrétienne. Dans le draft comme au paradis, les premiers (clubs) seront les derniers (à recruter les nouveaux talents). Oui, au pays du capitalisme, celui du plus offrant et où le winner takes it all, on a introduit ce principe redistributif pour rééquilibrer les forces entre les winners et les loosers d’une saison dans le recrutement des nouveaux entrants.


Des clubs de NBA vont-ils succomber à la tentation de sacrifier leur saison ?

Ainsi, des clubs de NBA pourtant animés par des valeurs profondes de compétition, … ont intérêt à lever le pied pour ne plus marquer de paniers ! Certains se demandent comment littéralement sacrifier la saison actuelle pour avoir la chance d’acheter Victor et gagner les saisons prochaines : l’arrivée d’un joueur comme Victor, c’est une once in a life time opportunity, une chance qui ne repassera pas deux fois.

Cette tentation est réelle car Victor, tel un Lionel Messi, est un peu l’enfant prodigue et prodige que la NBA attendait. Surgi de nulle part et pourtant visible de loin avec 2,21 m de hauteur et 2,42 m d’envergure, il casse les codes. Il est grand et véloce, et cela lui permet de marquer tellement que cela en devient affolant. Évidemment cette tentation de perdre sciemment pour s’avantager dans le recrutement ressemble à la tentation que rencontre une entreprise face à une opportunité immanquable mais contraire à ses valeurs affichées. Face à cette tentation certains diront NON quand d’autres diront OUI.

En tout cas, à chaque fois que des valeurs sont ébranlées par la tentation de saisir une opportunité, se met en branle une réflexion sur ses réelles priorités. Face à un conflit de loyauté entre deux polarités, quand un tiraillement devient déchirement, « du jeu s’introduit dans le Je (ou inversement) » comme on dit en philosophie. L’hésitation permet de réfléchir à la nouvelle hiérarchie de ses priorités.


Quelle intention derrière la transgression des valeurs ?

C’est là que Victor, par son choix, nous informera d’un autre élément que le strict respect des valeurs affichées. Quand il signera in fine son contrat, il expliquera qu’il ne vend pas son âme en acceptant d’offrir son talent au plus offrant. Il nous expliquera qu’à 18 ans, il se fiche du sempiternel débat entre passion (coupable) et raison (honorable), entre le « ça » des hédonistes coupables et le « surmoi » des vertueux malheureux. Il nous dira qu’il se préoccupe d’autre chose : de l’intention des clubs derrière la transgression (ou le respect) des valeurs affichées. En écho au livre de Thierry Paulmier, Homo Emoticus, qui distingue quatre mouvements de vie, Victor se demandera peut-être ce qui meut le club avant tout, au point même de déroger à ses valeurs sportives.

Il signera peut-être avec le club mû avant tout par sa lutte pour sa survie et qui se débat contre sa mort pronostiquée. Ou alors il choisira un club poussé par l’envie, envieux du succès et qui lutte pour dominer le classement. Ou bien il dira oui à un club perfectionniste qui travaille à transformer ce sport en art pour marquer l’histoire, un club chez qui la beauté du jeu est LA priorité. Et sinon il rejoindra, pourquoi pas, un club qui aime donner et se donner au-delà du raisonnable, par amour du jeu : un club qui voit le don de soi, la générosité sans réserve envers ses coéquipiers, comme le moteur de son succès.

L’avenir nous dira comment Victor, l’élu de la génération Z que la NBA attendait, a choisi entre l’élan pour la survie, l’envie, la beauté ou l’amour. En attendant, Madame, si vous lisez ce billet et craignez que l’attachement à vos valeurs ne vous porte malheur, je vous dirai au contraire que les valeurs attirent plus qu’elles ne repoussent. J’ajouterai, en jouant un peu sur les mots, qu’un compromis n’est pas de compromission, qu’un faux pas n’est pas impardonnable et qu’une faute avouée est plus qu’à moitié pardonnée.


Sentimentalement vôtre,


Ludovic

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