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Photo du rédacteurLudovic Herman

Concurrence à l’UE, ou quand la France s’inquiéta que Fiona Scott-Morton ne rejoue West Side Story

En amour, comme en affaires, la concurrence est réelle. Quand on rencontre l’âme sœur on n’est pas forcément seul à le penser, alors on tente sa chance, on croit en son étoile même si souvent un concurrent a plus de talents ou d’arguments. Quand on perd, on s’incline avec du fair-play et on se dit que la concurrence est dure, mais qu’ainsi soit-il. D’ailleurs croire que les entreprises gagnent légitimement, c’est croire que les dés ne sont pas pipés, c'est-à-dire que la stricte concurrence est respectée.


Les lois anti-trust, la vigilance contre les ententes, cartels et abus de positions dominantes permettent que de nouveaux entrants osent se positionner sur les marchés comme le fit Free dans le passé. Cela permet que les dominants du moment n’imposent pas leur loi éternellement. Or, pour gagner les compétitions les entreprises tentent souvent d’infléchir la situation. Elles rêvent de devenir un monopole, localement ou why not globalement. Elles ne disent pas toujours non aux oligopoles où se trament des ententes entre concurrents aux intérêts convergents.  Dans ces cas-là, au lieu de la guerre des prix, ce sont les augmentations concertées qui prennent le dessus. Ainsi va la psychologie des entreprises mues logiquement par leurs intérêts. Alors, Washington et Bruxelles veillent à ce que la concurrence soit une réalité et non une idée éthérée.


Tout cela, on le savait déjà, mais on ne savait pas que l’été 2023 verrait se rejouer un nouvel épisode de West Side Story entre le clan européen et le clan des Gafaméricains avec Fiona Scott Morton dans le rôle principal.


Au départ de l’histoire il y a Margrethe Vestager, la commissaire européenne à la concurrence, une Dame de fer danoise qui inspira la série Borgen et qui aime regarder l’horizon à l’île d’Oléron. Redoutée par les GAFAM, car elle n’hésite pas à lever le voile sur leurs abus de position dominante et à leur imposer des sanctions, elle lança une chasse de tête pour recruter son économiste en chef. Elle trouva Fiona Scott-Morton, l’éminente professeur américaine de Yale. Margrethe Vestager décide de faire une exception à la règle de la préférence continentale et offre le poste à cette américaine. Si Fiona Scott-Morton n’est pas européenne, lutter contre la concurrence est sa vocation, elle a même travaillé pour Obama qui s’inquiétait de leur domination. Quant aux GAFAM, elle était leur consultante, elle les a écoutés, conseillés, facturés, elle connaît leurs vulnérabilités ! Unies par un amour commun pour la concurrence, les deux femmes topent là et se disent OUI pour unir leurs forces. Les GAFAM restent muettes et se demandent soudainement comment lutter contre Fiona Scott-Morton, l’ex-prestataire, devenue l’alliée de Margrethe Vestager, la commissaire.


C’était sans compter sur le doute, notamment d’Emmanuel Macron et de Raphaël Glucksman, qui ne voient pas cela comme une opportunité mais comme une menace ! Ils craignent que Fiona Scott-Morton ne soit pas la bonne candidate comme Maria dans West Side Story ou Juliette dans la pièce de Shakespeare. Ils voient peut-être même dans Fiona Scott-Morton la réincarnation possible de Mata Hari, cette possible agente secrète, en bref, une possible infiltrée Gafaméricaine au cœur de l’administration européenne.


Alors, n’en pouvant plus, quand Margrethe Vestager confirme son engouement pour Fiona Scott-Morton, ils sonnent le tocsin et les médias aux relents souverainistes traitent Fiona de lobbyiste et l’accusent de deux péchés capitaux : sa nationalité et avoir effectué des prestations pour les GAFAM. La presse, un poil xénophobe, éructe et déclare presque «Oyez Européens, ne laissez pas Fiona, la louve américaine qui a conseillé les GAFAM, entrer dans la bergerie de la Commission Européenne.» Piqué au vif, le gotha mondial des économistes, dont des prix Nobel défendit officiellement Fiona Scott-Morton, mais cela ne suffit pas et Fiona Scott-Morton renonça.


Alors, après cette victoire du soupçon sur celui du crédit d’intention, quelles leçons en tirer pour les entreprises qui recrutent des dirigeants transfuges du public vers le privé ou d’une autre nationalité ? A qui, à quoi ces experts seront-ils fidèles s’ils rencontrent un conflit de loyauté ?


Pour nous aider dans ce casse-tête, le roman sentimental de l’américain Philippe Roth « La Tache », où se joue un drame social et racial, est riche d’enseignement. Une tache c’est comme une « souillure » cachée mais visible dans le regard de celui qui soupçonne. Elle peut être liée à un péché originel, comme celle de notre nationalité, ou liée à nos choix professionnels, comme celui d’avoir été consultant comme moi, ou banquier... comme nombre de mes amis.


Questions cruciales : quand on intègre des dirigeants « étrangers », comment les nettoyer de ces «impuretés» dont ils sont soupçonnés ? Quelles déclarations, quels engagements…pourront lever le doute sur leur non-culpabilité.


Pour Fiona Scott-Morton, la question de sa probité restera sans réponse. Aurait-elle « trahi » l’UE pour favoriser ses anciens clients les GAFAM ? No lo sé, en revanche on sait que ses accusateurs ont trouvé cela plausible. Cela en dit peut être plus long sur eux que sur elle. Si j’étais leur employeur, je m’en inquiéterais.


Sentimentalement vôtre.



Crédit photo : © Adam Jones Wikimedia Commonss

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