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Photo du rédacteurLudovic Herman

Rester en Russie, ou quand le PDG d’Accor aime plus les gens que l’argent

Face à la guerre en Ukraine, certaines entreprises françaises quittent la Russie et d’autres restent. Nathalie Arthaud, fin mars, pique une colère quand on prétend qu’elles agissent pour des raisons éthiques plutôt qu’économiques. Pour elle, une entreprise n’a qu’une valeur, cardinale qui plus est, l’argent. Alors, quand Sébastien Bazin, PDG d’Accor et ex-patron du fonds d’investissement Colony Capital en Europe argumente sur France Inter qu’il reste en Russie pour ses valeurs et non par intérêt financier, cela mérite une analyse détaillée.


Rappelons que gagner de l’argent était plutôt valorisé jusqu’à une époque récente. On disait même dans le village de mes grands-parents, fonctionnaires, que quelqu'un avait réussi dans la vie quand il s’était enrichi ! Quand il revenait au pays au volant de sa Mercedes et qu’il se garait sur la place du marché, il était souvent bien considéré. Et à son décès, la communauté louait même qu’il ait laissé plus d’argent à ses enfants qu’il en avait, lui-même, hérité de ses parents.  


Pour « réussir », mon grand-père croyait à la croissance des marchés pour placer ses économies, quand ma grand-mère ne jurait que par l’immobilier. « Deviens propriétaire et tu pourras te « leverager », aurait-elle pu dire en lisant les pages saumon du Figaro. Ils se disputaient, mais se réconciliaient pour me dire que si tu « réussis », on te pardonne souvent beaucoup dans la vie. Quelle horreur cette famille vénale, pensais-je, moi qui lisais des romans d’amour où de beaux Aladins, sans le sou, étaient follement aimés par des Jasmines richissimes qui s’ennuyaient au dernier étage de leurs palais.


Plus tard, un peu déçu des princesses moins charmantes que je ne le croyais, j’aimais retrouver mon amie Athena (qui coache les CEO sur leur raison d’être), le midi pour l’écouter parler des participations dans lesquelles investissaient des fonds motivés par le gain à réaliser. Il y avait un investisseur qu’elle adorait en particulier : le malin Sébastien Bazin. Il avait des yeux bleus à tomber qui faisaient dire à mon amie que si l’occasion se présentait il ne dormirait pas dans la baignoire (quand Accor en avait encore dans ses hôtels). Elle le surnommait Seb, le self made man, revenu d’Amérique. Elle aimait qu’il ait étudié à l’université plutôt que l’X, l’ENA ou HEC. Il incarnait LE méritocrate français, choisi par le milliardaire Tom Barak, le fondateur libanais du fond Colony Capital qui réconciliait immobilier et placement financier. Seb, je l’imaginais tel Gekko, le héro du film Wall Street, un mâle alpha, carnassier en complet ajusté. Seb était en tout cas un rain maker qui, tel un sorcier avec magie et stratégie, transformait vos économies en méga profit.


Le Bazin de l’époque paraissait sans états d’âme et n’y allait pas par quatre chemins, il soumettait ou démettait les patrons qui lui résistaient. D’ailleurs un jour, las d’attendre il se dit, comme ma femme l’affirme volontiers : « If you want something done poperly, do it yourself ». Alors Sébastien prit les reines d’Accor, le fleuron de l’hospitalité française chez qui j’ai séjourné plus de 500 nuits dans ma vie (du Formule 1 au Sofitel). Inutile de vous dire que quand il passe à la radio, mon amie m’appelle et me dit « change ta morning routine car Seb passe à 9h10 sur France Inter dans On n'arrête pas l'éco ». Ça attaque fort, on y rappelle qu’Accor, est le troisième groupe hôtelier mondial présent dans 110 pays avec 40 marques différentes. Ce groupe pas fan de la décroissance continue à ouvrir un nouvel hôtel par jour, 365 par an, précise-t-il, pour ceux qui ont oublié combien de jours compte une année.


La journaliste Alexandra Bensaïd, très accueillante au début, applaudit la remontada post-Covid d’Accor avec cette formule : « alors qu’en 2020 vous aviez perdu 60% de votre activité, en 2021 vous êtes revenu dans le vert ». Il ne dit trop rien, car il a le succès modeste notre Seb. Il nous explique quand même pourquoi, chiffres à l’appui il y a beaucoup de raison d’espérer, même si 25% de la clientèle internationale lointaine, ceux qui avaient le blues du businessman dans Starmania, ne reviendra pas. Cela fait plaisir de retrouver notre Gekko à l’antenne, alors on tend l’oreille et là, on adore quand il nous prédit une lame de fond d’activité et peut être d’unions sentimentales dans ses hôtels. « Dans les grandes villes, le monsieur ou la dame qui habite dans l'avenue d'à côté va quitter son domicile et venir deux fois par semaine travailler et être reçu dans un hôtel Accor». « Vous allez voir de 9h du matin à 9h du soir des hôtels pleins qui vont accueillir les gens du quartier, c'est juste formidable ».  


Mazette, des hôtels remplis le jour de riverains c’est le rêve de tout hôtelier alors on achète illico presto une action sur Saxo investor. Et nous qui espérons, depuis qu’Aladin aime Jasmine, que le monde entier ait envie de faire l’amour et pas la guerre on applaudit quand il nous dit : « c'est le moment d'être positif les gens ont envie de vivre, les gens ont envie de se faire plaisir, mais surtout les gens ont envie de rencontrer quelqu'un d'autre !!! ». C’est vrai on n’avait pas pensé que le printemps, la saison des amours, est arrivé. Seb a bien compris que du coworking deux jours par semaine à l’hôtel il n’y a qu’un pas pour arriver aux "trois nuits par semaine" d’Indochine.


Mais bon, on attend, car Alexandra dont on partage le goût pour l’éco et le meursault est en embuscade et demande à notre Seb sentimental et enthousiaste ce qu’il compte faire en Russie : « Vous avez 55 hôtels en Russie, sur votre parc de 5 300 et depuis un mois il y a de plus en plus d'entreprises françaises qui ont décidé de couper les ponts avec Moscou, y compris celles pour qui cette décision pèse très lourd. Je pense à Renault et vous, Accor, vous restez en Russie, pourquoi ?


Et là, sans coup férir, le Bazin retombe sur ses pattes tel un félin et assène des arguments … éthiques : « On est présent dans les moments difficiles partout dans le monde, en 50 ans Accor n'a jamais fermé un hôtel dans des zones de conflit, jamais. Les collaborateurs c'est la seule chose à laquelle je tiens, s’ils ne sont pas là je ne pourrais pas fonctionner » et il conclut avec « on les aime ».


Nous, nous avons les larmes aux yeux car un CEO sensible à la saison des amours et qui dit je t’aime à l’antenne à ses salariés, cela nous plait à l’Entreprise sentimentale. Certes, Seb ne les aime pas parce qu’il a commencé avec eux au bas de l’échelle, il a plutôt été parachuté par le haut mais cela ne l’empêche pas d’aimer. Comme le dit une autre chanson de Starmania, ce n’est pas parce qu’on est pauvre qu’on est honnête, et donc on peut être riche et honnête émotionnellement avec les gens. Il ajoute sans hésiter en la regardant avec ses yeux si bleus : « je suis responsable de mes collaborateurs et le service que nous rendons en Russie est un service extrêmement précieux, voire indispensable pour vous tous autour de cette table :  les médias, les organisations caritatives, les délégations étrangères qui viennent négocier, si nous fermons vous n'aurez plus aucun témoin de ce qui se passe en Russie ». Ça nous en bouche un coin, à Alexandra et aux auditeurs aussi, car sans Accor, ce sont la liberté de la presse, les négociations et les ONG qui se mettent en péril !


Mais, argument suprême (peut-être pour Nathalie Artaud), il conclut cet échange avec ces mots : « et en plus, on ne gagne pas d'argent là-bas, donc personne ne peut me dire que je finance la guerre, car je ne paye pas d'impôts en Russie et qu’en plus, j’y perds de l'argent, car notre taux d’occupation est inférieur à notre seuil de rentabilité, à savoir 55% de taux d’occupation. Je suis désolé, mais les valeurs du groupe sont telles que nous devons rester ». Au cas où subsisterait un doute, il ajoute : « la Russie représente moins de 1,5% de notre chiffre d'affaires. Je ne suis donc pas dépendant économiquement de la Russie. Je n’y crée pas de richesse. Je suis là pour mes collaborateurs et pour rendre un service et recevoir les gens qui en ont besoin».


Sa motivation à perdre de l’argent est nouvelle et on se demande si on doit revendre illico notre action. Après concertation on se dit qu’il existe peut-être un petit peu d'intérêt à la conserver, car cela coûte cher de quitter et très cher de revenir sur un marché.


On conclut en se disant dit qu’il n’y a peut-être pas de honte ni d’antinomie à honorer ses valeurs tout en restant profitable. Alors, on garde l’action aussi par affection pour ce CEO Gekko qui parle comme l’abbé Pierre. Sentimentalité rime donc bien avec profitabilité.


Sentimentalement vôtre



Crédit photo : © D.R

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